Claude : Ma première cigarette. Il y a si longtemps. Avec les copains, on devait se cacher pour fumer. Le petit bonheur de braver l’interdit. En fumant on avait l’impression de vivre une grande expérience de celle que l’on vit dans les romans. Dans les romans étaient évoquées les fumeries d’opium, les narguilés … cela nous faisait rêver. Nous avions onze ou douze ans.
Andrée : Le tabac, pour moi, est lié à de mauvais souvenirs : mon père, mon frère, mon mari, tous morts du cancer du fumeur, le cancer du poumon. Le plus terrible est que mon mari, bien que se sachant condamné, se cachait pour fumer et essayait de dissimuler les mégots. J’ai fumé un peu car à l’époque tout le monde fumait. Lorsque j’ai appris que j’étais enceinte j’ai totalement cessé de fumer.
Annick : J’avais douze ans et je passais mes vacances en Alsace dans la famille. La tradition était d’offrir aux enfants pour les gâter : une goutte de café, un morceau de chocolat et la permission de tirer sur une cigarette.
J’étais très fière. Je me prenais pour une grande personne. J’ai aussi fumé à la FAC en cachette avec une copine qui apportait, dans ma chambre, un paquet de cigarette. Moi aussi j’ai arrêté de fumer lorsque j’ai attendu un enfant.
Robert : J’ai commencé à fumer à quatorze ans. Je suis fumeur. Je vais inventer une sorte de fable dans laquelle une femme nommé Virginie, comme le tabac, rencontre un marin qui fume la pipe, ils seront tués par un exterminateur qui ne fume pas …
Patrick : J’étais vraiment dépendant à la cigarette. Par exemple, même lorsque je partais en randonnée, il me fallait mes quatre paquets de cigarettes. Je me souviens des montées dans les Alpes où le souffle manquant, le visage cramoisi, je maudissais les cigarettes. Mais pour fêter mon arrivée au sommet, au pied de la croix qui dominait le paysage, je sortais une cigarette et fumais avec satisfaction.
Maguy : J’ai commencé à fumer lorsque j’ai travaillé à l’hôpital. Tout le monde fumait, j’étais entraînée. J’ai jeté mon paquet de cigarette lorsque j’ai appris que j’étais enceinte. J’ai fait la guerre à ma fille pour qu’elle ne fume pas mais hélas …Elle m’a dit un jour « Maman je fume et je fumerai, je préfère ne pas le faire en cachette ». Chez moi, elle va fumer à la fenêtre.
Sébastien : Longtemps je n’ai pas fumé car mes parents m’avaient prévenu : « Si tu fumes on te coupe les vivres » J’étais en pension et j’avais si peu d’argent. Un jour à ma demande on m’a offert une cigarette, juste pour voir si j’aimerais fumer. J’ai aimé et là, j’ai fumé de tout, beaucoup. A présent, peu à peu je commence à réduire ma consommation.
Evelyne : Nous ne connaissions rien de la position de l’ennemi. Je fus chargé de faire une reconnaissance. Il me fallait ramper jusqu’aux barbelés érigés en frontière par l’ennemi. Peu d’arbres, une multitude de buissons touffus et piquants. La nuit était douce, une nuit printanière langoureuse qui vous fichait au cœur le regret des jours de paix. La terre sentait le foin et le miel. Soudain je vis une minuscule lueur. Je la reconnus immédiatement, c’était celle d’une cigarette se consumant. L’autre, l’ennemi, devait être comme moi, allongé sur le sol, il fumait serein en regardant les étoiles. Sans doute revoyait-il le visage d’une femme aimée, sa maison au bout d’un jardin, son enfant qui se balançait. Je pouvais le tuer facilement en visant la provocatrice lueur. Je ne sais pourquoi je pris mon harmonica dans la poche de ma veste et me mis à jouer une mélodie douce et triste de mon enfance. La lueur brilla encore un peu puis s’éteignit. Il n’y eut pas d’échanges de tir sous les étoiles de cette nuit-là. La fraternité à des raisons que la guerre ignore.